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Arnott : l’histoire oubliée de la marque automobile fondée par une femme

Dans l’histoire de l’automobile, marquée par des milliers de constructeurs éphémères, un nom se distingue par son caractère unique : Arnott. Car derrière ce patronyme se cachait Daphne Arnott, sans doute la seule femme à avoir fondé et dirigé sa propre marque automobile. L’aventure fut brève, une petite décennie seulement dans les années 1950, mais assez riche pour laisser une empreinte singulière.

Une ingénieure dans l’âme

Née en 1926, Daphne Arnott grandit dans une famille tournée vers la mécanique. Son père, ingénieur automobile de troisième génération, l’initie très tôt aux courses automobiles. C’est à ses côtés qu’elle découvre Brooklands, temple du sport automobile britannique, où elle observe pour la première fois l’effet d’un compresseur conçu par son père.

Après une tentative infructueuse dans l’édition, elle rejoint l’entreprise familiale à Londres et fait équipe avec George Thornton, ancien ingénieur aéronautique durant la guerre. Ensemble, ils décident en 1951 de concevoir une voiture pour une nouvelle discipline : la Formule 3, créée à l’époque pour démocratiser le sport automobile avec de petits monoplaces propulsés par des moteurs de motos de 500 cm³.

La petite monoplace qui fait sensation

La première Arnott 500 fait ses débuts en octobre 1951 à Brands Hatch et étonne immédiatement la presse spécialisée. Autocar salue sa vitesse et ses solutions techniques. La voiture reprend une suspension indépendante issue en partie de la Morris Minor, mais surtout, elle innove avec des dispositifs de sécurité inédits : un arceau intégré et… une ceinture de sécurité. Dans un contexte où même la Formule 1 ignorait encore ces équipements, Daphne Arnott impose leur usage à tous ses pilotes.

Elle se souviendra plus tard :

« Personne n’a jamais été tué dans une Arnott. Dennis Taylor doit sans doute sa vie à nos ceintures. Il s’est retourné à Brands Hatch, mais est resté attaché dans sa monoplace. Une fois la voiture retombée sur ses roues, il a pu repartir. S’il avait été éjecté, il aurait pu être grièvement blessé. »

Une pionnière qui refuse les courses “féminines”

Daphne Arnott rêvait elle-même de prendre le volant en compétition. Mais dans les années 1950, les restrictions imposées aux femmes limitaient leur participation à des courses dites « de dames », qu’elle jugeait dévalorisantes. « Je voulais me mesurer aux hommes à égalité », expliquait-elle plus tard.

Les médias londoniens s’emparent rapidement de son histoire. En 1952, le Evening News la décrit dans les stands, les mains couvertes de cambouis, sa chevelure blonde emmêlée, changeant une bougie comme n’importe quel mécanicien. Lorsqu’on l’interroge sur une éventuelle relation avec le pilote John Brise, elle répond malicieusement en désignant sa monoplace :

« Voilà mon petit ami. Il prend tout mon temps libre. »

Des innovations en série

En 1953, Arnott crée une nouvelle surprise en dévoilant la première carrosserie en fibre de verre de Formule 3. Trois fois plus légère que l’aluminium, elle raconte l’avoir « piétinée et secouée dans l’atelier sans que cela ne change quoi que ce soit ».

Toujours en quête de défis, l’équipe se lance ensuite dans la chasse aux records de vitesse et d’endurance. Avec une carrosserie profilée, John Brise bat neuf records de classe sur l’anneau de Montlhéry, atteignant 196 km/h de moyenne.

Puis vient l’idée de développer une voiture de route : sur la base du châssis de F3, Arnott propose un petit coupé en fibre de verre, motorisé par différents quatre-cylindres britanniques. Au moins six exemplaires seront vendus.

L’audace de Le Mans

En 1955, Daphne Arnott vise plus haut encore : les 24 Heures du Mans. Elle engage une voiture rouge – sa couleur préférée – confiée au jeune Peter Taylor. Mais lors des essais, celui-ci, distrait par un geste à l’adresse de sa compagne postée dans les stands, perd le contrôle et détruit la voiture sous le pont Dunlop. Indemne, il provoque toutefois la fureur de Daphne :

« Quand je l’ai vu sortir indemne, j’ai eu envie de courir et de l’étrangler. »

Deux ans plus tard, l’écurie revient avec un coupé doté d’une suspension complexe à bras oscillants destinés à augmenter l’adhérence en virage. L’expérience est prometteuse, mais la mécanique lâche au bout de cinq heures. L’épopée Arnott touche alors à sa fin.

Une vie après les circuits

Après la mort de son père en 1961, Daphne reprend l’entreprise familiale avant de la céder pour s’installer dans le Devon, où elle tiendra une maison d’hôtes avec son mari. Elle emporta avec elle la voiture du Mans 1955, aujourd’hui restaurée et témoin rare de cette aventure unique.

Si l’histoire de la marque Arnott reste confidentielle, elle incarne pourtant une singularité précieuse dans l’histoire automobile : celle d’une femme qui, à une époque dominée par les hommes, osa construire, diriger et innover, laissant son nom dans la légende des pionniers oubliés de la course.




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