Le Royaume-Uni veut taxer les voitures électriques au kilomètre : une idée à contre-courant
C’est une annonce qui fait grincer des dents de l’autre côté de la Manche. Le gouvernement britannique envisage d’instaurer, à partir de 2028, une taxe au kilomètre parcouru pour les voitures électriques. L’objectif affiché ? Compenser la baisse des recettes fiscales liées à la disparition progressive de la taxe sur les carburants fossiles. Mais pour l’industrie automobile, cette idée arrive au pire moment. « À un moment aussi crucial de la transition vers l’électrique, ce serait la mauvaise mesure au mauvais moment », a réagi le SMMT (Society of Motor Manufacturers and Traders), l’équivalent britannique du CCFA français.
Cette taxe, qui pourrait atteindre environ 3 pence par mile (soit près de 2 centimes d’euro par kilomètre), serait appliquée à tous les véhicules zéro émission. Un conducteur parcourant 13 000 km par an paierait ainsi autour de 240 livres (environ 280 €) en plus de la taxe annuelle déjà prévue sur les véhicules électriques. Derrière ce chiffre se cache une logique purement comptable : les voitures thermiques rapportent à l’État via la taxe sur les carburants ; les électriques, elles, ne contribuent presque pas. Il s’agirait donc d’« égaliser » les recettes.
Mais ce raisonnement, aussi simple en apparence qu’il est séduisant pour les politiques, oublie l’essentiel : l’électricité n’est pas l’essence. Et surtout, les véhicules électriques ne consomment pas du tout la même quantité d’énergie pour parcourir la même distance.
L’énergie, le vrai débat
Au Royaume-Uni, le prix moyen de l’électricité pour les particuliers se situe aujourd’hui autour de 26 pence le kilowatt-heure. En face, le litre d’essence coûte environ 1,36 livre, soit l’équivalent de 15 pence par kilowatt-heure d’énergie chimique (un litre d’essence contenant environ 8,9 kWh). Sur le papier, l’essence semble donc moins chère. Mais cette comparaison est trompeuse, car elle ne tient pas compte du rendement.
Un moteur thermique transforme à peine 25 % de l’énergie qu’il consomme en mouvement utile ; le reste se perd en chaleur. Un moteur électrique, lui, dépasse souvent les 85 % de rendement. Résultat : pour parcourir 100 km, une voiture électrique typique consomme entre 15 et 18 kWh, alors qu’une voiture essence a besoin de l’équivalent de 50 à 60 kWh d’énergie chimique. L’électricité coûte donc plus cher à la source, mais elle est utilisée beaucoup plus efficacement.
En clair, à énergie utile égale, rouler à l’électrique reste nettement moins coûteux. Ce n’est pas une question de prix du kilowatt-heure, mais de sobriété énergétique. L’automobile électrique n’est pas une simple substitution de carburant : c’est un changement d’échelle dans la consommation d’énergie.
Une taxe qui punit le bon élève
C’est justement ce que le projet britannique semble ignorer. En voulant fiscaliser au kilomètre les véhicules électriques, le gouvernement donne l’impression de punir ceux qui font le bon choix. Certes, il est légitime de réfléchir à l’avenir des recettes publiques dans un monde sans carburants fossiles. Mais taxer l’électrique alors qu’il n’a pas encore atteint la parité économique avec le thermique revient à casser l’élan d’une transition à peine amorcée.
Le SMMT ne s’y trompe pas : il alerte sur une mesure « complexe et coûteuse », susceptible de dissuader les consommateurs et de nuire à l’image du Royaume-Uni comme terre d’investissement. D’autant qu’à partir de 2025, les voitures électriques britanniques devront déjà s’acquitter d’une taxe annuelle équivalente à celle des véhicules thermiques, y compris un supplément pour les modèles de plus de 40 000 livres. Cette « road tax » et la future taxe au kilomètre constitueraient une double peine pour les automobilistes qui ont fait le choix de l’électrique.
L’idée paraît donc moins motivée par la recherche d’équité que par une logique populiste : donner l’impression de « faire payer tout le monde » dans un contexte où les aides publiques à la transition sont souvent critiquées. Mais c’est oublier qu’une fiscalité mal calibrée peut ralentir la mutation du parc automobile et retarder les bénéfices collectifs de la décarbonation.
Et en France ?
L’exemple britannique a de quoi faire réfléchir. En France, la question d’une fiscalité de l’usage des routes refait régulièrement surface, notamment à travers les discussions sur les voies payantes urbaines ou la taxation des poids lourds. Mais pour l’instant, aucune mesure n’envisage un prélèvement kilométrique pour les véhicules électriques particuliers.
La France a au contraire choisi de protéger l’avantage à l’usage des voitures à batterie, en compensant leur prix d’achat élevé par un coût d’énergie plus faible. Aujourd’hui, un automobiliste français rechargeant à domicile paie en moyenne 0,18 €/kWh, contre environ 0,14 €/kWh équivalent pour l’essence. Là encore, le rendement fait toute la différence : à distance égale, un véhicule électrique reste environ deux fois moins cher à l’usage qu’un véhicule thermique.
Introduire une taxe au kilomètre, comme le propose Londres, reviendrait à gommer cet avantage au moment même où les constructeurs et les États cherchent à convaincre les automobilistes d’abandonner le moteur à combustion.
Le risque d’un signal négatif
Au-delà du calcul économique, la fiscalité automobile envoie un signal symbolique. Et celui-ci est clair : au Royaume-Uni, on risque de donner l’impression que l’électrique n’est plus soutenu. À l’heure où les gouvernements européens multiplient les incitations pour atteindre la neutralité carbone, cette annonce apparaît comme un contre-exemple.
Car l’électrification ne se décrète pas uniquement par des normes ou des quotas : elle se construit par la confiance. Et taxer un usage vertueux, au moment où les infrastructures de recharge restent incomplètes et les coûts d’achat élevés, c’est précisément le contraire d’un message incitatif.
À long terme, il faudra bien repenser la fiscalité routière, en tenant compte de la disparition des recettes sur les carburants. Mais plutôt que de punir indistinctement tous les kilomètres électriques, la vraie question est celle d’un système plus intelligent : fondé sur l’efficacité énergétique, la taille des véhicules, voire l’impact réel sur les infrastructures.
Une conclusion française
De l’autre côté de la Manche, la taxe au kilomètre pour les voitures électriques se veut équitable. En réalité, elle risque d’être contre-productive et profondément décourageante. Elle illustre surtout la difficulté, pour les États, de repenser une fiscalité automobile adaptée à une révolution énergétique.
La France ferait bien d’observer attentivement cette expérimentation britannique pour en tirer la bonne leçon : ne pas casser la dynamique au nom de la rigueur budgétaire. Car dans cette transition, la confiance vaut bien plus qu’une taxe au kilomètre.
A retenir : l’électricité est déjà plus chère que l’essence à quantité d’énergie égale. Ce n’est que par la technologie et le rendement bien meilleur que rouler en électrique est beaucoup plus avantageux que l’essence.
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