Michael Jordan contre NASCAR : un procès qui pourrait bouleverser l’avenir de la catégorie
La salle d’audience fédérale de Charlotte, en Caroline du Nord, s’est transformée en ring. Ce qui devait être une simple audience technique s’est mué en règlement de comptes grandeur nature entre NASCAR, d’un côté, et 23XI Racing – l’écurie détenue par Michael Jordan et Denny Hamlin – associée à Front Row Motorsports, de l’autre. En jeu : la légitimité du système de « Charters », pierre angulaire du modèle économique actuel de la NASCAR Cup Series.
Le système des Charters : une franchise inspirée des ligues US
En 2016, NASCAR a introduit le système des Charters pour stabiliser son modèle. L’idée : s’inspirer des grandes ligues sportives américaines comme la NBA ou la NFL. Chaque Charter garantit à une équipe une place permanente sur la grille des courses, ainsi qu’une part des revenus télévisés et commerciaux. Pour les écuries, cela s’apparente à une licence, un actif qui peut être acheté, vendu ou transmis, créant ainsi une forme de valeur patrimoniale.
Ce système a transformé l’économie de la NASCAR. Avant 2016, les équipes devaient se qualifier chaque semaine, parfois au détriment de leur survie financière. Avec les Charters, elles ont gagné une sécurité et un pouvoir de négociation. Mais cette stabilisation a aussi généré de nouvelles inégalités : les grandes structures ont renforcé leur domination, tandis que les outsiders se sont retrouvés bloqués par un système fermé, où le prix d’une Charter peut atteindre plusieurs dizaines de millions de dollars.
Des critiques dès l’origine
Dès son lancement, le système des Charters a suscité des tensions. Certaines équipes estimaient que NASCAR avait imposé ce modèle sans véritable concertation, favorisant les écuries déjà établies au détriment des indépendants. D’autres craignaient que le championnat devienne une ligue fermée, réduisant les opportunités pour les nouveaux venus.
Neuf ans plus tard, ces critiques trouvent une résonance particulière dans le combat de Michael Jordan et Denny Hamlin. En refusant de signer le nouvel accord de Charters, 23XI Racing et Front Row Motorsports contestent non seulement les modalités du contrat, mais aussi l’équilibre des pouvoirs entre NASCAR et les équipes.
Une audience sous haute tension
Lors de cette audience préliminaire, les avocats ont dévoilé des courriels internes qui donnent une image crue des tensions. Côté 23XI Racing, Denny Hamlin ne mâche pas ses mots en déclarant que son « mépris pour la famille France » – propriétaire de NASCAR – « est profond ». Quant à Michael Jordan lui-même, il aurait qualifié ses homologues de Joe Gibbs Racing de « Fuckers!!!! » après avoir appris qu’ils avaient signé le nouvel accord.
De l’autre côté, NASCAR n’a pas été plus tendre. Son avocat a rappelé que l’organisation avait envisagé de revenir à l’ère pré-1996, lorsque la discipline se présentait comme un sport « sudiste et redneck » sans franchises. Plus encore, un projet interne surnommé « Gold Coats » envisageait même un modèle radical : que NASCAR possède toutes les équipes, éliminant toute indépendance.
Michael Jordan, fan devenu combattant
Face aux journalistes, Jordan a tenu à clarifier sa position. « J’ai toujours été fan de ce sport. Ce n’est pas une question de savoir si mon équipe gagne de l’argent ou non. La vraie question, c’est l’avenir de la NASCAR, pour les fans comme pour les équipes. » L’icône du basketball, qui s’est lancé dans l’aventure NASCAR en 2020, se pose désormais en défenseur d’un modèle plus équitable. « Si je dois me battre jusqu’au bout pour le bien du sport, je le ferai. »
En s’exprimant ainsi, Jordan prend une stature nouvelle dans le paddock. Plus qu’un propriétaire d’équipe, il se place en figure de proue d’un mouvement qui remet en cause l’autorité absolue de la famille France, qui règne sur la NASCAR depuis plus de 70 ans.
Une affaire aux allures de big bang
Le juge Kenneth D. Bell, qui supervise le dossier, n’a pas caché l’ampleur des enjeux. « Ce n’est pas une querelle qui se termine autour d’un verre. Tout le monde est en danger ici. » Son rôle, pour l’instant, sera de statuer sur une injonction demandée par les plaignants : permettre à leurs équipes de bénéficier dès maintenant des avantages financiers des Charters, malgré leur refus de signer. La décision est attendue la semaine prochaine.
Mais le procès de fond, lui, s’ouvrira en décembre. Et son issue pourrait redessiner la NASCAR de fond en comble. Comme l’a résumé le juge : « Si les plaignants l’emportent, la NASCAR ne ressemblera plus à ce que vous connaissez aujourd’hui. Si c’est NASCAR qui gagne, tout le monde sait déjà à quoi ressemblera la saison 2026. »
Entre tradition et modernité : un sport en quête de son identité
Derrière ce bras de fer juridique, c’est toute l’identité de la NASCAR qui est en jeu. Discipline née dans le Sud des États-Unis, longtemps perçue comme un bastion populaire et régional, elle s’est transformée en une machine commerciale sophistiquée, avec des sponsors mondiaux et des stars venues d’autres horizons – à commencer par Michael Jordan lui-même.
Mais cette professionnalisation s’accompagne de nouvelles fractures. Les petites équipes peinent à survivre, les coûts explosent, et les fans se demandent si la NASCAR ne s’éloigne pas de son âme originelle. Pour certains, les Charters symbolisent cette dérive : un système qui protège les puissants, verrouille l’accès et réduit la diversité de la grille. Pour d’autres, ils sont indispensables à la survie d’un sport extrêmement coûteux, qui a besoin de stabilité pour attirer sponsors et diffuseurs.
Une fin ouverte, un avenir incertain
À six mois du coup d’envoi de la saison 2026, l’incertitude plane. Les constructeurs, les sponsors et les fans observent avec attention une affaire qui pourrait changer la répartition du pouvoir en NASCAR. Michael Jordan et Denny Hamlin se posent en contestataires d’un système verrouillé, tandis que Jim France et sa famille défendent un modèle qu’ils estiment indispensable à la stabilité du championnat.
Verdict attendu en décembre. Mais une chose est sûre : le procès Michael Jordan contre NASCAR ne sera pas qu’une affaire d’avocats. C’est une bataille pour l’âme d’un sport en pleine mutation.
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