Twingo électrique : trois ans de travail, mais Renault veut nous faire croire au miracle
Les constructeurs automobiles adorent raconter qu’ils vont vite. Très vite. Et qu’ils sont devenus, comme les start-up de la tech, capables de “réinventer” une voiture en un temps record.
C’est d’ailleurs le grand message de Renault avec la nouvelle Twingo électrique : au Mondial de l’Auto 2024, la marque a fièrement affirmé avoir “conçu une voiture en moins de deux ans”.
Sauf qu’en grattant un peu, l’histoire paraît beaucoup moins fulgurante qu’elle n’en a l’air…
L’art du storytelling industriel
Tout part d’un article du Figaro : selon le quotidien, la première maquette de la Twingo électrique a été présentée en interne fin 2023. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Sauf que cela veut dire qu’au moment où cette maquette était montrée aux dirigeants, le projet était déjà bien engagé : design validé, architecture technique au moins en partie décidée, partenaires industriels identifiés.
Autrement dit, le programme a probablement démarré début 2023, voire un peu avant.
Et comme la commercialisation est prévue pour mars 2026, il s’écoulera donc environ trois ans entre le lancement réel du projet et les premières livraisons clients. Ce qui n’a rien d’exceptionnel — mais tout d’un calendrier parfaitement classique pour un véhicule de série.
La “voiture conçue en moins de deux ans” relève donc davantage de la formule marketing que du tour de force industriel.
Trois ans, c’est déjà rapide
Historiquement, le développement complet d’une voiture — de la première esquisse à la production — prenait entre quatre et cinq ans. Les plateformes électriques modulaires et les outils numériques ont permis de raccourcir ces délais, mais trois ans restent un délai record, surtout pour un modèle à vocation grand public.
Il faut concevoir les éléments techniques, valider la batterie, tester la structure, homologuer la voiture, industrialiser la production et coordonner les fournisseurs.
Bref, même dans le monde ultra-numérisé de Renault, il est peu probable que la Twingo électrique sorte de nulle part “en deux ans tout ronds”.
Mais admettons : il faut bien qu’un constructeur communique, et dans la bataille de l’électrique, chaque mois compte.
Une leçon de communication
Ce que Renault raconte ici, c’est avant tout une histoire de réactivité. Le groupe veut montrer qu’il a entendu la demande pour des voitures simples, légères et abordables, et qu’il sait y répondre plus vite que la concurrence.
C’est d’ailleurs le même discours qu’avaient tenu Tesla (avec la Model 3), Volkswagen (avec l’ID.2) ou encore Dacia (avec la future Hipster).
Mais il faut rappeler que dans l’automobile, la communication précède toujours la réalité.
Présenter un concept, c’est donner à voir une intention — pas livrer un produit.
Renault veut ainsi occuper le terrain médiatique et montrer à Bruxelles, aux investisseurs et au grand public qu’il est prêt à jouer la carte de la “E-Car européenne” — cette petite électrique promise par Ursula von der Leyen et réclamée par Luca de Meo (ex) lui-même.
L’ombre d’une stratégie bien huilée
En vérité, la Twingo électrique s’inscrit dans une logique parfaitement cohérente.
Renault prépare le terrain pour une voiture électrique urbaine à moins de 20 000 €, en capitalisant sur un nom iconique et une silhouette immédiatement familière.
Mais il s’agit aussi d’une manœuvre politique : montrer que Renault est capable de produire en Europe une citadine électrique compétitive… à un moment où Bruxelles discute justement de l’avenir de la voiture abordable.
Alors, quand le constructeur affirme avoir “réinventé sa méthode de développement”, il faut comprendre :
“Nous voulons que l’Europe voie en nous le champion de la voiture électrique populaire.”
Et là, tout s’éclaire.
Des promesses et du temps
Le plus ironique dans tout ça, c’est qu’au moment où Renault revendique sa rapidité, les clients devront patienter au moins jusqu’au printemps 2026 pour recevoir leurs voitures.
Les premiers exemplaires de présérie sortiront sans doute fin 2025, mais entre la montée en cadence, la logistique et les homologations, les livraisons massives n’arriveront pas avant l’été 2026. Car, pour le moment, il n’est pas possible d’en acheter une, pas de catalogue, pas de gamme, pas de tarif.
Autrement dit, le miracle industriel vanté sur les stands du Mondial ressemble plutôt à un calendrier normal rebaptisé pour les besoins de la communication.
Croire ou ne pas croire ?
Il ne s’agit pas de douter du savoir-faire de Renault — au contraire. L’entreprise a su retrouver une vraie dynamique depuis quelques années, avec des produits solides et un discours plus clair.
Mais il faut rappeler une évidence : la communication automobile n’est pas un journal de bord, c’est un récit. Et dans ce récit, la vitesse, l’innovation et la disruption sont devenues des mots magiques.
On fait croire que tout change plus vite, que les voitures s’inventent comme des applis, et que les constructeurs ont tous troqué leurs blouses d’ingénieurs pour des sweats de startuppeurs.
La réalité, elle, reste industrielle : lente, complexe, dépendante des chaînes d’approvisionnement, des homologations et du temps nécessaire pour bien faire.
Et c’est tant mieux. Parce qu’une voiture, ce n’est pas un prototype de salon : c’est un objet que l’on conduit, que l’on confie à ses enfants, et que l’on garde parfois dix ans. Alors, autant qu’elle prenne un peu de temps à naître.
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